Les Bruxellois, ces gens du nord qui aiment les rouges frais
Le journaliste Marc Vanhellemont, membre des 5 du vin, raffole tant des rouges de Crozes-Hermitage qu’il aime aussi en déguster à l’heure de l’apéro bruxellois, à une température plus fraîche qu’à table. Il en a parlé, façon thérapie de groupe, avec un Meilleur sommelier de Belgique, Antoine Lehebel, ex-chef sommelier du Bonbon**, le caviste Pascal Courel et l’acheteur Olivier Goyvaerts. Leurs échanges se glissent dans cette profession de foi, qui est aussi une déclaration d’amour à la plus célèbre couleur du vin. Un reportage de Marc Vanhellemont.
Quand on parle d’un rouge de Crozes-Hermitage, en proposer à l’apéro paraît iconoclaste. Mais avant de rejeter l’idée, réfléchissons tout d’abord sur le statut de la couleur. Le rouge reste mal perçu par ceux qui croient qu’il manque de tendresse, qui le voient agressif avec ses tanins, qui le pensent lourd avec sa densité, qui l’estiment ennuyeux avec son élevage, qui se disent qu’il faut attendre longtemps avant de gagner le droit de le boire et que sais-je encore. Bref, dans l’imaginaire collectif, le rouge est devenu la couleur à abattre.
Et pourtant, le rouge possède un atout que les deux autres couleurs n’ont pas vraiment, c’est qu’il peut se démultiplier bien plus. C’est-à-dire que, selon l’intention que le vigneron veut transmettre, il peut se présenter du plus construit au plus léger. Dans les temps qui sont les nôtres, c’est ce dernier caractère qu’on se doit se faire découvrir afin de démontrer l’étendue de sa panoplie. On découvrira alors des vins dont on dira qu’ils sont aériens avec des tanins "juste ce qu’il faut" pour maintenir dans sa résille délicate la gourmandise du fruit, l’amabilité des épices, le parfum délicat des fleurs…
Ces rouges conviennent à l’apéritif. Et il est des Crozes-Hermitage qui ont leur mot à dire, révélant une syrah savoureuse qui charme les papilles quand elle se sert un peu rafraîchie avant de passer au repas. Voici ce que j’avais noté lors d’une dégustation. Le vin : la cuvée Les Galets 2022 du Domaine des Hauts Châssis en Crozes-Hermitage.
"Quelques girations dans le verre éveillent la violette et l’iris qui parfument les chairs de griotte et de myrtille. Poivre noir et cumin ombrent les fruits. La fraîcheur presque vive du vin s’enveloppe d’une légère soie tannique qui laisse s’écouler les jus gourmands tout en laissant s’exprimer le fruit sans le moindre carcan. Voilà un Crozes de belle soif, croquant et joyeux, qui plaît à l’apéro."
Renseignement pris, je ne suis pas le seul à m’extasier sur un Crozes-Hermitage servi à l’apéritif. Ainsi mon ami Antoine Lehebel, Meilleur sommelier de Belgique (c’était en 2014) et qui aujourd’hui fait profiter de ses talents la grande agence de courtage Le Wine.
"Boire un Crozes-Hermitage frais ? Oui, vraiment ! Évidemment, on ne parle pas ici de servir le vin aussi frais qu'un champagne, mais de les présenter aux alentours de 13-14 °C. Là, c'est une bonne idée. En effet, cela permet de faire ressortir ses arômes de fruits, mais aussi de mieux percevoir l'acidité et de le rendre encore plus rafraichissant. Attention, on évite de descendre trop bas en température, notamment si le vin rouge est boisé où tannique. Dans ce cas, les tanins vont ressortir, et ça ne sera pas agréable du tout. Les Crozes-Hermitage se prêtent bien à ce petit jeu, surtout les cuvées élevées en inox, sans bois et sur le fruit éclatant de la syrah. Personnellement, je les adore en apéritif aux alentours de 14 °C..."
D’ailleurs, dans son bienvenu appel « Des lendemains qui chambrent », co-signé par beaucoup de sommeliers et de cavistes, l’appellation elle-même, demandant à ce qu’on cesse de servir des rouges frigorifiés ou trop chauds, conseillait de les présenter à une température comprise entre 14 et 18 °C. Pour déterminer la fourchette, plutôt que de se contenter de répéter ce qu’on peut lire dans les manuels (qui ne seraient peut-être pas descendus à 14 °C), elle a eu le bon goût d’organiser une dégustation à l’aveugle, avec les températures de service masquées, à laquelle se sont prêtée le biologiste Marc-André Sélosse, le neurobiologiste Gabriel Lepousez, le sommelier d’Anne-Sophie Pic Edmond Gasser et la journaliste du Monde, le grand quotidien français, Ophélie Neiman.
De mon côté, j’ai tenu à demander son avis à Pascal Courel, le caviste de Wine-Not, à Ixelles.
"Rafraîchir un vin rouge pour le boire offre plusieurs avantages. On choisira d'abord la température de service en fonction de la charge tannique du vin. Plus un vin est faible en tanin, plus il supportera une température basse (le froid tend à les exacerber). Mais sans aller trop bas non plus car cela inhibe les arômes (quoique tous les goûts sont dans la nature... certains raffolent de vins très tanniques servis froids !). Le principal avantage de rafraichir est de limiter l'évaporation de l'alcool quand on place le nez au-dessus du verre. Si je prends comme exemple la Crozes-Hermitage 2022 de Yann Chave, il est évident cela laissera plus de place à la perception des différents arômes. En bouche, le vin se montrera élégant, le fruit et les arômes se révéleront plus facilement dans toute leur diversité et leurs nuances. En plus, pas de panique si vous trouvez que le vin est trop rafraichi, il suffit de patienter un peu et le laisser revenir doucement à une température que vous estimez idéale. Dans un verre, ce sera rapide."
Et pour être vraiment, vraiment sûr, j’ai aussi parlé du sujet à Olivier Goyvaerts, acheteur pour Carrefour Belgique.
"Lorsqu’on se renseigne sur la température idéale d’un vin rouge, on entend souvent parler de la fourchette se situant entre 16 et 18 °C. En fait, cela va dépendre du vin. Lors d’une dégustation de la cuvée Les 3 Lys en Crozes-Hermitage, nous avons remarqué que le vin révélait tous ses atouts en descendant la température de service à 13 ou 14 °C : l’attaque devenait franche et croquante, les notes de fruits frais, de cerise et de fruits des bois étaient portés par une agréable sucrosité, la finale était ronde et équilibrée."
Alors, convaincus ?
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