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Dialogue autour de la marsanne & les Saint-Jacques

Dialogue autour de la marsanne & les Saint-Jacques

Une dégustation avec la sommelière Anca Petrescu et le chef Christophe Hardiquest 

La journaliste Laura Centrella a demandé à la sommelière Anca Petrescu de sélectionner trois vins de Crozes-Hermitage. À charge ensuite pour Christophe Hardiquest, le chef du Menssa à Woluwe-Saint-Pierre au sud-est de Bruxelles, d’imaginer pour chaque vin la recette qui lui sied. Un reportage de Laura Centrella.

Le vin : « Les Pontaix » 2022, Domaine Fayolle Fils & Fille 

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« Ce vin, j’ai tenu à ce qu’on le goûte car c’est un 100 % marsanne », introduit Anca Petrescu. Ce cépage, cultivé à Crozes-Hermitage depuis le XVe siècle, est l’un des deux seuls autorisés, avec la roussanne, pour la production des vins blancs de l’appellation. Chacun peut être vinifié de son côté ou assemblé avec son alter ego. 

Quant au Domaine Fayolle Fils & Fille, qui signe la bouteille, lui aussi a des racines qui remontent à loin. C’est même l’un des plus anciens de Crozes-Hermitage. À sa tête, plusieurs générations se sont succédé et c’est aujourd’hui au tour de la sixième, représentée par Céline Nodin et Laurent Fayolle. Tous deux sont des passionnés d’agroécologie qui ont converti le domaine en agriculture biologique et renoué avec des pratiques ancestrales comme, dans ce vignoble de coteaux, la traction animale. 

Mais écoutons Anca nous parler de marsanne. « C’est un cépage qui amène de la rondeur. D’autant plus ici, car le vin a été élevé pendant douze mois sur lies dans des demi-muids. La vigne a été plantée sur un coteau par le grand-père, et elle est vendangée à cheval. On est sur un terroir de lœss, et ça donne de très beaux blancs, qui ont de la minéralité. Il y a aussi des amers nobles en fin de bouche. Ce qu’on cherche ici, c’est la texture et un petit peu de salinité. On n'est pas du tout dans des vins nerveux, dans l’acidité. La marsanne est aussi un cépage qui prend de très jolies notes oxydatives, des notes de noisette notamment. » 

Elle hume le vin, et Christophe Hardiquest et moi faisons de même. « L'idée, c'est toujours de flairer le premier nez sans tourner. Et puis le deuxième, après avoir tourné. Au début, on a quelque chose de frais, de très léger, des arômes de citronnier ». Elle se concentre. « Maintenant, j’ai des notes d’amande. Et de coing aussi. » 

Au tour du chef de jouer. Après une éclipse en cuisine, le voilà de retour. « J'ai voulu travailler un produit de saison, la Saint-Jacques bretonne. Elle est contisée [ce qui signifie incisée à intervalles réguliers, ndlr] avec des algues confites. Il y a aussi du sarrasin toasté et du coing. J’ai également préparé une sauce avec les barbes et du cidre de la Cidrerie du Condroz, à côté de Namur. » 

Il poursuit. « Ce qui est génial avec une jeune marsanne, c’est sa vivacité. Pour créer mon plat, je suis parti de ses arômes primaires. Elle m’a parlé du coing. Donc l'idée m'est venue de le cuisiner. Elle m’a aussi parlé d’amande. Mais j’ai préféré utiliser du sarrasin toasté pour rester dans l'esprit breton. »  

À la dégustation, le plat se révèle délicieux,avec un petit côté iodé amené par les algues. C'est un plat très lisible, gourmand et moderne à la fois.  

« Pour moi, c’est un accord réussi, observe Anca Petrescu, car il inspire une certaine lenteur. On a envie de déguster le plat par petites bouchées et de boire le vin à petites gorgées pour profiter du moment. » Christophe Hardiquest est conquis lui aussi : « la fraîcheur du vin dynamise la longueur en bouche du plat. Ça claque ! » 

Christophe Hardiquest est l’un des plus grands chefs de Bruxelles. L’un des plus inventifs aussi. Ouvert en 2023 en lisière de la forêt, son Menssa, imaginé avec l’architecte Anne-Catherine Lalmand et déjà étoilé par le Michelin, abrite une table unique, un comptoir onduleux se dressant face à la cuisine. 

Anca Petrescu est une sommelière belge d’origine roumaine. Elle fut, dix ans durant, la propriétaire passionnée du restaurant Alexandre, place Rouppe, qui vit passer des chefs tels qu’Alexandre Dionisio ou Isabelle Arpin. Elle est aujourd’hui une sommelière nomade qui fait profiter de ses talents les chefs qu’elle aime, comme Christophe Hardiquest ou Sang Hoon Degeimbre. À l’occasion, on peut aussi croiser sa route lors d’une formation ou d’un dîner privé. 

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