Il y a dix ans de cela environ, l’AOC Crozes-Hermitage se donnait la joyeuse mission de rencontrer les fines gueules d’une grande ville, chaque année différente, avec l’idée d’y trouver une famille de coeur, constituée d’ardents sommeliers et de chefs affables, ceux qui, comme nous, ont le goût du bon vin et les mêmes valeurs d’amitié et de partage. De l’expérience, il en résulte chaque fois un bel objet imprimé de 48 pages. Tour à tour, nos pérégrinations nous ont emmenés à Paris, Bruxelles, Londres, Berlin, Stockholm, Copenhague et Amsterdam. Et d’année en année, notre famille de coeur s’est étoffée, agrandie. Avec ce nouveau numéro, nous ajoutons Oslo à notre collection de destinations. Surtout, nous nous sommes fait des amis, que vous découvrirez en ces pages. Allez les saluer de notre part.
Road trip
Wine spots
Green warriors
Interview Liora Levi
Interview Andreas Viestad
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Photos Haakon Hoseth, Anne Bergeron
En guise d’entrée en matière, voici six lieux d’Oslo qui en racontent l’histoire, la géographie. Mais ces six lieux sont aussi des lieux où l’on mange et où l’on boit alors qu’il n’en a toujours pas été ainsi. En cela, ils racontent aussi les mutations d’une ville qui est aujourd’hui une ville de cuisine et de vin.
Texte : Anne Fredrikstad
01.
Grand Café & Vinkjeller
Le vénérable Grand Café & Vinkjeller est une adresse mythique d’Oslo, positionnée sur Karl Johan gate, la plus prestigieuse avenue de la ville, laquelle dessert le Palais Royal. L’explorateur Fridtjof Nansen et le dramaturge Henrik Ibsen ont fréquenté les lieux. Edvard Munch y avait ses habitudes du temps de la « bohême de Christiania ». On ne compte plus les lauréats du prix Nobel de la paix, les rock stars ou les chefs d’État en visite officielle qui y ont séjourné.
Les bâtiments renferment quelques magnificences architecturales, comme la coupole en verre du restaurant Palmen sous laquelle on vient goûter à une cuisine fusion qui réserve toujours une place aux produits norvégiens emblématiques, comme la viande de renne. Inaugurée en 2016, la cave « Vinkjelleren » rassemble une collection de plus de seize mille bouteilles, couvrant environ mille cinq cents références du monde entier. C’est l’une des plus belles caves de tout le pays.
02.
Festningen
Ouvert en 2013, le restaurant Festningen (« la forteresse ») a été aménagé dans l’ancienne prison de la plus grande forteresse de Norvège : la citadelle d’Akershus. Les traces du passé sont partout visibles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du restaurant. Celui-ci, misant sur une cuisine de saison qui fait la part belle au poisson et à la viande, peut accueillir 150 personnes.
Mais l’été, la terrasse, qui offre une vue embrassant le quartier d’Aker Brygge et le fjord d’Oslo, permet de rajouter jusqu’à 300 couverts supplémentaires ! Détenteur d’un Bib gourmand, le lieu impressionne par sa carte des vins.
festningenrestaurant.no
03.
Mathallen
Le premier food court d’Oslo, ouvert tous les jours sauf le lundi, a été édifié sur une friche industrielle du quartier de Vulkan, situé sur la rive droite de l’Akerselva. Aujourd’hui, le lieu fédère une quarantaine de restaurants, de bars et de commerces dans lesquels on trouve absolument de tout : des légumes et des fruits frais, des fruits de mer en pagaille, de la charcuterie super bien sourcée… Une multitude de petits restaurants assure le ravitaillement, se partageant entre cuisine norvégienne et cuisines internationales.
Le marché aime aussi à mélanger les genres, abritant concerts et happenings, comme la journée nationale des gaufres ! Dans les étages, la Kulinarisk Akademi est une institution reconnue qui dispense des cours de cuisine ainsi que des ateliers et des stages de dégustation de vin.
mathallenoslo.no
04.
Telegrafen
Le Telegrafen est un lieu hybride, ouvert en 2021 dans ce qui fut autrefois le central téléphonique du pays. Une profusion de bars à vin et à cocktail, une brasserie et un dancefloor s’y sont aujourd’hui installés mais les allusions à l’histoire du bâtiment, construit en 1924 et devenu avec le temps un quasi-symbole national, sont pléthoriques.
Est-ce lié à ce passé populaire ? Toujours est-il que le Bestorp, la brasserie implantée sur le site, se fait fort de promouvoir une cuisine nordique accessible avec des menus (jusqu’à six services) capables de rassasier les plus grosses faims.
telegrafenoslo.no
05.
Vaaghals
Implanté en 2014 dans le néo-quartier Barcode, aménagé dans le secteur de Bjørvika, Vaaghals (« téméraire » en norvégien) dissimule une belle bande de people, dans laquelle on retrouve les noms d’Arne Hjeltnes, une figure de la télévision norvégienne, du chef Arne Brimi et des skieurs, médaillés aux Jeux Olympiques, Bjørn Dæhlie et Vegard Ulvang.
Tous les quatre se sont rencontrés en tournant « Les mecs en voyage » (Gutta på tur), une série qui a eu beaucoup de succès en Norvège. Le restaurant, distingué par un Bib gourmand, mixe la tradition norvégienne avec des partis pris très créatifs, tout en se targuant d’une sélection de vins conséquente, qui valorise les grands vignobles européens.
vaaghals.com
06.
Vippa
Dans la zone portuaire entre les quartiers d’Aker Brygge et de Sørenga, un ancien entrepôt de 1 000 mètres carrés faisant face à l’île de Hovedøya a été réhabilité pour accueillir un restaurant. Co-fondé par Kaja Skovborg-Hansen et Heidi Bjerkan, la première cheffe norvégienne étoilée par le Michelin (Credo à Trondheim, au-delà du cercle polaire), Vippa louche dans toutes les directions (Syrie, Pologne, Inde…) pour ce qui est de l’inspiration, tout en réussissant le tour de force de s’approvisionner exclusivement en circuit court : toute la matière première provient ainsi de fermes de la région d’Oslo.
Co-fondé par Kaja Skovborg-Hansen et Heidi Bjerkan, la première cheffe norvégienne étoilée par le Michelin (Credo à Trondheim, au-delà du cercle polaire), Vippa louche dans toutes les directions (Syrie, Pologne, Inde…) pour ce qui est de l’inspiration, tout en réussissant le tour de force de s’approvisionner exclusivement en circuit court : toute la matière première provient ainsi de fermes de la région d’Oslo.
vippa.no
Wine Spots
Oslo regorge aujourd’hui de bars à vin aux cartes souvent renversantes, heureuses et abondantes tout à la fois. Il faut dire qu’on retrouve aux commandes des sommeliers de métier, lesquels ont du vécu et des convictions, et qui s’y entendent pour combiner savamment les grandes références et les jolies découvertes.
Texte : Anne Fredrikstad
Green Warriors
Non sans raison, les pays nordiques passent pour les premiers de la classe en matière d’écologie. Cela vaut aussi pour ce qui se trame en cuisine. Oslo peut ainsi se targuer de compter des restaurants qui, portés par des chefs engagés, sont de ceux qui tracent un chemin vers le monde de demain.
Texte : Mona Haugen-Kind
Restaurant Rest
La maison, hyper investie dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, joue cartes sur table. Ici, c’est fine dining on food waste. La VF ? Une cuisine de haute volée, concoctée à partir d’ingrédients voués à la poubelle. Le décor du restaurant, situé en plein centre d’Oslo, tient lui aussi du manifeste : tables en bois recyclé, carafes de deuxième main, déco chinée ici ou là. Le chef Jimmy Øien en est convaincu : on peut susciter de grandes expériences sans gaspiller à tout-va. Sa carte change tout le temps, au gré des disponibilités et sans jamais que ne faiblisse la qualité.
restaurantrest.com
Stallen
Le restaurant-soeur du FYR, avec le même Sebastian Myhre aux manettes, qui y déploie une cuisine nordique. La philosophie de la maison : prendre le contre-pied de la nourriture globalisée en mettant en valeur les ressources incroyables qui nous entourent, qu’il s’agisse des produits de la cueillette, de la pêche ou de ceux qui sont issus de fermes locales et éthiques. À l’arrivée, cela donne une carte d’une vingtaine de plats, complétée par une belle liste de vins.
restaurantstallen.no
Restaurant Einer
Un bâtiment du XVIIe siècle dans le coeur historique d’Oslo. La cuisine (nordique) aussi est back to the roots à coups de fumages, de fermentations, de salaisons et de conserves de toutes sortes. Aux fourneaux, le couple Sara Johansson et Svein Trandem. Cuisine de saison de rigueur. Les musts de l’hiver ? La bouillie au levain aux nectarines et airelles et le céleri-rave aux algues rouges et à l’ail des ours, mais aussi les coquilles Saint-Jacques de l’île de Frøya aux oignons frits, ou la morue des Lofoten avec bacon et ail noir !
restauranteiner.no
Kontrast
« Un plat ne sera jamais meilleur que les ingrédients qui auront servi à sa préparation. Et nous, nous avons l’envie d’offrir une cuisine nordique de haut niveau », proclame Mikael Svensson. Aussi, le restaurant, voisin de Mathallen, se fournit exclusivement en produits locaux issus de l’agriculture biologique et, pour ce qui est de la viande, auprès d’éleveurs engagés, sensibles au bien-être animal. Natif de la campagne suédoise, le chef suédois, qui a bâti lui-même un restaurant auréolé d’une étoile au Michelin, a des principes chevillés au corps, ce qui ne l’empêche pas de compter aujourd’hui parmi les 300 meilleurs chefs au monde.
restaurant-kontrast.n
FYR Bistronomi & Bar
Une des plus belles terrasses de la ville ! Si le lieu attire les foules en été, il a aussi son charme l’hiver venu. On vous y sert des plats d’une belle simplicité mais toujours dans l’élégance, élaborés à partir d’ingrédients de saison issus de circuits courts, comme les langoustines de l’île de Frøya, le merlu...
fyrbistronomi.no
Wine+Sushi
Ouvert en 2020, voici le premier restaurant zéro carbone de Norvège. « Oslo a des valeurs qui correspondent aux nôtres : c’est une ville verte, moderne, tournée vers l’avenir. Elle nous permet aussi de nous rapprocher de notre principal ingrédient : le saumon norvégien certifié ASC », jubilent les deux associés, Anders Westerholm et Matti Sarkkinen, qui ont fait leurs armes en Finlande. « De notre point de vue, la durabilité, c’est une approche qui doit être globale : des alternatives vegan, des vins bio bien sûr. Mais la durabilité, c’est aussi la lutte contre le gaspillage, la volonté de recycler, le choix d’une énergie propre, l’utilisation de produits d’entretien non polluants... Et nous compensons toutes les émissions que nous ne pouvons éviter. »
sushibarwine.com
Liora Levi
Cette ancienne lauréate du Concours du Meilleur sommelier de Norvège délivre désormais ses conseils et recommandations à la télévision. Ensemble, nous avons évoqué la place prise par le vin dans la société norvégienne… mais aussi son penchant pour les vins de Crozes-Hermitage !
« Je le dis de suite, j’ai un gros faible pour les syrah du nord de la Vallée du Rhône : un bon Crozes-Hermitage et je suis aux anges ! » Cette fan enthousiaste des emblématiques rouges rhodaniens, c’est Liora Levi, un nom bien connu dans le petit milieu norvégien du vin. En plus de ses activités pédagogiques à destination des futurs sommeliers, on peut en effet régulièrement l’entendre dans l’émission God Morgen Norge (« Bonjour Norvège »), diffusée sur la chaîne TV 2, ou lire ses articles dans la revue Maison Mat & Vin. Et à l’international, on peut la suivre via la série Wine First dans laquelle elle arpente les grands vignobles européens, mettant au défi des chefs locaux de cuisiner des assiettes qui sauront mettre en valeur les particularités de différents vins. Par ailleurs, c’est à la fois une bête de concours, lauréate de plusieurs concours de dégustation à l’échelle nationale ou européenne, et une professionnelle engagée, sérieuse présidente de l’Association des sommeliers norvégiens. Cette dégustatrice experte est pourtant partie de zéro, enchaînant pendant dix ans les expériences en restauration avant de se décider, en 2010, à se former à la sommellerie. Un parcours qui est un peu à l’image d’une société norvégienne longtemps peu concernée par les choses du vin : « Ce qui s’est passé avec le vin en Norvège tient de la révolution. Pour ma part, je trouve très amusant de faire partie de ce mouvement et de l’accompagner aujourd’hui à mon tour. Quand j’écris un article ou que j’interviens à la télévision, je ressens cette soif de découvertes qui a saisi la société norvégienne. »
(R)évolutions
« Dans les restaurants, les cartes des vins aussi ont progressé. D’ailleurs, nous avons aujourd’hui plusieurs établissements distingués par le Guide Michelin. Le projet “Star Wine List”, auquel je collabore, tire aussi les cartes vers le haut : il s’agit d’un guide en ligne qui met en avant les bars à vin et les restaurants qui se distinguent grâce à la qualité de leurs cartes des vins. » Les Norvégiens ne sont pas seulement attentifs aux vins qu’ils dégustent, ils sont aussi conscients de l’importance du contenant, souligne Liora Levi, qui exerce le rôle de brand ambassador pour le grand fabricant autrichien de verres à vin Riedel. « Les Norvégiens sont devenus des fous de verres à vin. Ils ont compris que les verres ont un effet sur la dégustation ! »
Plus de femmes
Quand Liora Levi a débuté, le milieu était dominé par les hommes. « Quelques femmes étaient présentes dans le métier, mais les sommeliers connus étaient des hommes. Et quand j’ai commencé à participer à des dégustations réservées à la presse, les femmes étaient très minoritaires. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. » Pour beaucoup, Liora Levi est un modèle. « En 2017, l’Association des sommeliers norvégiens comptait 90 membres. Il y en a 360 à présent, dont beaucoup de femmes. »
Perles
2020 aussi a marqué une rupture, selon Liora Levi. « Quand les restaurants ont dû fermer à cause du confinement, nous nous sommes tous retrouvés chez nous à devoir préparer nos repas. Et nous avons pris conscience qu’une bonne cuisine passe par de bons ingrédients. Nous avons accepté de payer plus, et cela est vrai aussi pour le vin. Nous avons continué à nous fournir dans les magasins du monopole d’État, le Vinmonopolet, mais
nous avons aussi pris l’habitude d’en commander en ligne. Or, c’est seulement de cette façon qu’on peut accéder à certains vins, notamment les vins de la Vallée du Rhône. Pour prendre l’exemple des Crozes-Hermitage, la sélection est relativement restreinte au sein du monopole d’État ; en revanche, sur commande, il y a plein de belles découvertes à faire ! Ce qui est merveilleux avec les syrah de Crozes-Hermitage, c’est leur fruit et leur fraîcheur. Cela en fait des vins qui vont avec tout : la viande rouge, le gibier, mais aussi une simple grillade. Beaucoup de gens ne le savent pas encore mais, Crozes-Hermitage, c’est le vin qu’ils vont préférer ! »
Texte : Anne Fredrikstad
Photo : Maia Hansen
Andreas Viestad
À Oslo, où aimes-tu boire du vin ?
- Ce qui est cool, c’est qu’il y a beaucoup de lieux dans lesquels on peut trouver des vins de très haut niveau. Comme Territoriet, un super bar à vin qui a une fantastique sélection de vins au verre. Au Gapet ou au Bar Lardo, les cartes sont plus courtes mais l’atmosphère est géniale, très jeune, hyper détendue. Au Nektar, on est dans un autre registre avec une adresse qui associe un bar à vin et un
restaurant. Pour ce qui est des restos justement, c’est difficile de se limiter mais je vais quand même citer les noms du Hot Shop, qui vient de décrocher sa première étoile, et du mien bien sûr, le St. Lars !
Et si c’est la première fois qu’on vient à Oslo, où faut-il aller ?
- Je conseillerais Skur 33, une belle entrée en matière, ou peut-être Salome, que je fréquente assidument. En tout cas, tous les deux ont d’excellents fruits de mer !
Ton vin, tu l’achètes où ?
- Mon repaire, c’est le Vinmonopolet de la rue Thereses, au numéro 31 !
Les vins de la Vallée du Rhône ?
- Je suis un inconditionnel ! Les rouges sont extraordinaires avec de l’agneau ou des grillades. Mais j’ai de plus en plus de sympathie pour les blancs, trop sous-estimés.
Ton actualité ?
- Je fais partie de l’équipe qui travaille sur un projet de restaurant dans l’ex-ambassade américaine, oeuvre de l’architecte Eero Saarinen. La cave sera immense : on a déjà réuni quasiment 20 000 bouteilles !
Texte : Mona Haugen-Kind
Photo : Lars Petter Pettersen