Pour ce dixième numéro, nous nous sommes décidés à remonter le Rhône depuis Crozes-Hermitage. Ce faisant, nous avons installé notre camp de base dans cette ville aux 200 000 habitants mais aux 189 nationalités : Genève. Cette ville cosmopolite, nous l’avons parcourue en tous sens, ainsi que ses voisines de Carouge, Conches, Onex ou Lancy, avec qui elle forme une agglomération d’un demi-million d’habitants. Nous lui avons été infidèles parfois, nous aventurant sur les rives du lac en direction de Lausanne et même au-delà, du côté de Neuchâtel, de Fribourg ou des stations du Valais. C’est que Genève, poste avancé de cette Suisse qui, à nous Français, apparaît à la fois familière et singulière, nous a donné l’envie de pousser plus avant nos explorations !
Alors, que cette nouvelle lecture soit aussi un voyage.
City trip
En guise d'amuse-bouche, parcourons Genève à la découverte de quelques lieux à l'éclectisme évident mais qui partagent tous un même goût pour le vin qui réunit !
01.
Bombar
Adresse courue par le Tout-Genève, ce bar à manger, dont la cuisine, d'où fusent plats créatifs et vins d'auteur, est dirigée par le talentueux Victor Freiburghaus, a fait le pari du festif avec un long comptoir où tout le monde se mélange, les amis et les inconnus, les habitants du quartier et les buveurs de pépites singulières.
bombar.ch
Photo : Paola Corsini
02.
Café de la Plage
Dans le hall du Grand Théâtre, le spectacle est aussi dans les assiettes grâce au chef Jacopo Romagnol qui dégaine des plats millimétrés à base de bons produits de saison. Du côté de la carte des vins, le show s’avère plutôt avant-gardiste avec de la biodynamie, quelques vins non filtrés, d'autres oxydatifs ou en macération carbonique mais toujours servis avec ce qu'il faut d'aimable pédagogie.
gtg.ch/cafe-de-la-plage
03.
DCO Café
Après une brève incursion dans la finance, la jeune Genevoise Dorine Paquier réalise un rêve de jeunesse en ouvrant un café- brocante dans une petite ruelle des Eaux-Vives : le DCO Café où tout est à vendre, de la tasse aux luminaires en passant par les chaises. Et le mercredi soir, c’est l’heure de l’apéro hebdomadaire avec du vin sur toutes les tables !
dcocafe.com
04.
Inda Bar
Dans le pétulant quartier des Eaux-Vives, voici une adresse autant célébrée pour sa néo-cuisine indienne que pour sa remarquable cave d’environ 750 références qui aligne flacons prestigieux et grandes trouvailles. Il faut dire que Morad El Hajjaji, le patron des lieux, est un vrai fou de vin !
05.
Suahoy
Il y a un an, Yuttakan Pongkunsup, qui s'était fait connaître au Soï, cantine thaïe ultra stylée du quartier des Pâquis, ouvrait, rue Prévost-Martin, le Suahoy. Celui que tout le monde appelle Oad y dispense une cuisine thaïe de haute volée, fraîche et créative à souhait. Et comme c'est un vrai mordu de vin, c'est lui-même qui en a établi la carte !
suahoy.ch
06.
Yeast
Fondé en 2018 par le couple Bérengère et Bertrand Lutaud, ce restaurant-épicerie en vue fait partie de ces adresses qui font qu'il fait bon vivre à Carouge. Et déguster aussi au regard de la carte des vins signée par Bertrand, qui fut le sommelier de l’Hôtel de Ville de Crissier, ce qui donne un certain crédit.
yeast.ch
Photo : Sébastien Tournier
Jeunes gens de Genève
Ils sont la relève genevoise. Qu'ils officient en cuisine ou en salle, ils composent la next generation, celle qui, à la suite des pionniers, va définitivement installer Genève comme l'un des villes les excitantes en matière de cuisine et de vin. On fait les présentations.
Andrés Arocena
Ayant rejoint Genève en 2020, le jeune trentenaire, qui a notamment fréquenté les brigades de Martin Barasategui, Gérald Passedat et Elena Arzak, compte parmi les chefs les plus prometteurs de la ville. Il y dirige deux affaires situées dans le nouveau quartier qui entoure la Gare des Eaux-Vives : le Gigi Cucina & Bar, une trattoria à l’esprit bistronomique, et La Micheline, adresse starisée en octobre où il aime à accorder l’agneau au garam masala.
Noé Jolivald
Il compose avec Xavier Tanazacq l'énergique tandem qui tient bon la barre de l’électrique bar à manger du quartier Plainpalais, où l'on choisit souvent le vin avant de commander le plat. Rillettes et foie gras maison, ris de veau pané, os à moelle ou cochon confit seront ensuite chargés de lui tenir compagnie.
Yohann Caloué
Après dix ans de service et une étoile au Michelin, l’ex-chef du Flacon a quitté Carouge pour rallier le centre de Genève. Il y a pris la tête du Café des Banques, rouvert en juin dernier après des mois de travaux. Le trentenaire y compose toujours des assiettes parfaitement ciselées, comme ce plat de veau qui sied si bien avec les Crozes-Hermitage de la carte.
Marion Le Pen
La jeune sommelière du Bleu Nuit, Bretonne de naissance, a bien bourlingué avant d’arriver à Genève fin 2021. Deux ans durant, elle s’est formée à Paris auprès du Meilleur sommelier du monde Enrico Bernardo. Puis, elle a travaillé pour des vignerons, avant de filer en Australie et en Nouvelle-Zélande pour exercer en tant que sommelière. Qu’elle se soit décidée, à même pas trente ans, à poser ses valises à Genève plutôt qu’ailleurs est révélateur d’une ville qui bouge. Son job : élaborer des cartes qui jettent des ponts entre les univers et qui vont aider le client à s’émanciper peu à peu des carcans.
Vincent Debergé
L’élégant français, ancien sommelier du Chat Botté, le restaurant étoilé de l’Hôtel Beau-Rivage, fait partie des gens qui comptent à Genève. Il y dirige d’une main de maître le Caveau de Bacchus, prolifique enseigne qui combine, Cours de Rive, une cave, un restaurant et un bar à vin, sans compter les antennes de Gland et de Gstaad.
Antoine Nouais
Après avoir fourbi ses armes à Paris auprès de William Ledeuil (Ze Kitchen Galerie) puis accédé à la reconnaissance à L’Athénée 4, c’est dans le vieux Carouge que le jeune chef, aujourd’hui âgé de 27 ans, a choisi d’ouvrir son premier restaurant, le Sabi. Carte courte, mais inventive, avec des plats qui savent faire plaisir, tel ce paleron de bœuf braisé qu'on s'imagine volontiers servi avec un Crozes-Hermitage.
Jan Bertiaux
Le boss de L’Artichaut en est aussi le sommelier. Figure emblématique de la bistronomie genevoise, il a fait de son restaurant des bords carougeois de l’Arve un repaire convivial et couru, dont la sensationnelle carte des vins peut faire pâlir bien des étoilés de la ville ou d’ailleurs.
Aujourd’hui, L’Artichaut est une référence à Genève. Ce statut, tu l’expliques comment ?
- J’ai toujours voulu le meilleur rapport prix-plaisir. J’aurais pu chercher à acheter le meilleur bœuf ou homard du monde, essayer de faire de la grande gastronomie. Mais il y a déjà Châteauvieux ou l’Hôtel de Ville de Crissier qui font ça très bien ! Moi, je voulais un bistrot populaire et chic à la fois. Ce que je propose à mes clients, c’est une nourriture rassurante, un service attentif et une carte des vins au plus proche de leurs envies.
Propos recueillis par Pierre-Emmanuel Fehr
En quinze ans, le rôle du sommelier a-t-il évolué à Genève ?
- Il a beaucoup changé ! À mes débuts, le monde du vin était réservé à une certaine élite. Aujourd’hui, la connaissance est à la portée de tout le monde grâce à Internet. Désormais, ce qu’on demande au sommelier, c’est de donner de l’émotion plus que de l’information. L’objectif : lui donner du plaisir dans le respect de ses moyens. C’est un métier qui est devenu proche de la psychologie. La perception des défauts est différente aussi. Les clients recherchent moins un vin « propre » qu’un vin qui va leur donner de l’émotion. Une bouteille peut avoir des défauts et, pourtant, être la seule qui aura été vidée à la fin de la soirée !
Ton client préféré ?
- Celui qui choisit la première bouteille et qui me fait confiance pour les suivantes !
Marina Rollman
L’humoriste franco-suisse, genevoise de naissance et de cœur, revendique ouvertement son goût des bonnes choses mais ce qu'elle aime le plus dans le vin, c'est peut-être qu’il invite au partage, à l’échange. Discussion autour d'un verre de Crozes-Hermitage.
Raconte-nous ta ville
- Genève est une ville beaucoup plus complexe qu’il n’y parait au premier abord. Une ville de gauche et de droite, avec un spectre social, culturel, politique, très riche et tout en contradictions. D’un côté, la haute bourgeoisie, les sièges sociaux de boîtes pas très recommandables... De l’autre, plein de collectifs associatifs et de trucs très punk. C’est très suisse... sans l’être vraiment ! Très multiculturel tout en étant très genevois. C’est une ville de contraste.
Le vin, comment le choisis-tu ?
- En matière de goûts, je ne suis pas fermée et je pense, d’ailleurs, que c’est assez intéressant d’avoir un palais qui peut aller un peu partout. Je n’ai toutefois pas assez de connaissances, alors, j’y vais spontanément ! J’ouvre une bouteille en me disant que « ça devrait bien aller »... Et c’est souvent le cas ! Mais il y a aussi des moods, le jeu des saisons... Si je fais un repas avec des potes ou si je prévois un petit dîner romantique en intimité, le vin ne sera pas le même : il sera plus ou moins clair, plus ou moins capiteux...
Tu penses quoi de la distinction entre vins féminins et vins virils ?
- Les boissons de filles, les jeux de filles, moi, je n’ai jamais bien compris. Et puis, j’ai l’impression que les femmes se sont saisies du vin. De près ou de loin, je suis entourée de femmes qui évoluent dans cet univers. Toutes en parlent très très bien et, à les écouter, je n’ai vraiment pas l’impression qu’elles fassent la différence entre des vins virils et/ou des vins féminins !
Propos recueillis par France Massy
Food Tour dans le Valais
En guise de conclusion-bonus à notre escapade genevoise, permettons-nous un petit tour en hot-altitude. Car il se trouve qu'une brillante Internationale culinaire a pris possession des fourneaux des stations valaisanes, attirant regards et estomacs !